Coureurs à Colombes
Le ciel est bas, le temps est gris
Et l'Enfer sort des cheminées,
Par l'atmosphère de Paris
Les tribunes sont charbonnées.
Mais, pareils à des arcs tendus,
Les coureurs en ligne se placent,
On ne sait par où descendus
Des rayons à leurs corps s'enlacent.
Le départ. Dans le soir tombant
Une aurore tourne, persiste,
Et s'amincit comme un ruban
Dont le feu ranime la piste.
Les voici, pâles, sérieux,
Les épaules de sueur ointes,
Après le Temps mystérieux
S'efforcent leurs souliers à pointes.
D'un même élan le peloton
A la cendre noire s'arrache,
On dirait, sur quelque fronton,
Un bas-relief qui se détache.
Des appels, des bravos, des noms,
La ronde passe et continue,
Bras et jambes sont les chaînons
D'une chaîne vivante et nue.
La cloche. C'est le dernier tour.
Les coureurs, vers le fil de laine,
Tendent, en un geste d'amour,
Leurs mains et leur suprême haleine.
Dans la brume je vois au loin
Flotter ta forme qui s'efface
Au-dessus du vainqueur, Jean Bouin,
Qui battis le Temps et l'Espace.
Paul Souchon
« Les chants du stade » 1923