Sur
la piste olympique
de Colombes
(dans le temps de sa
fraîcheur, et récemment roulée)
Elle est de couleur rouanne, rougeâtre
comme par le hâle, unie comme si on venait de la repasser au
fer, résistante et tendre, on le devine, comme le corps exercé
dans la jeunesse. Quel peut être, contre la joue, son contact de
chose tamisée? Est-ce qu'elle a une odeur? Je voudrais la voir
de près, à l'heure où le stade est silence et solitude,
connaître son grain de peau. De même que la peau, elle est
faite de plusieurs couches. Mais quelles? Je ne sais rien d'elle
et j'en veux tout savoir, tel celui qui va questionnant au sujet
d'une femme entrevue.
Quand j'arrivai, l'ombre des tribunes la couvrait à demi. Pour
moi, plein de lubies, qui courrai sans confiance, par exemple, si
je n'ai pas d'adversaire à ma gauche, combien j'aurais été
inquiet de courir sur du soleil alors qu'un autre courait sur de
l'ombre! combien démonté si ma ligne s'était trouvée partie
au soleil et partie à l'ombre! Peu à peu l'ombre gagnait.
J'aurais voulu avoir le dos de la main posé contre cette surface
sensible tandis qu'elle allait s'apaisant, comme un corps qui
brûlait de bonheur se refroidit dans le sommeil enchanté.
Piste, chair délicate, comment le cacher, je suis amoureux de
toi. Que je conserve un jour, dans une mienne petite urne, un peu
de ton mâchefer recuit et incendié! La matière est humaine, il
faut le croire. L'âme du monde est répandue dans les âmes,
dans les corps, dans les choses travaillées par l'homme et dans
celles que jamais il ne toucha. Je ne sais si cette piste, dont
j'ignore encore les mérites, vaut vraiment qu'on y mette un
baiser, comme l' Arabe, tourné vers l'Orient, baise le sable du
désert. Mais si elle est parfaite elle le vaut. Plus que bien
des visages injustement aimés.
Henry De Montherlant
« Les Olympiques » 1924