PROPOS DU SPORT

Chroniques sportives de Jacques Mortane en 1921

Jacques Mortane (1883-1939),  écrivain et journaliste français, spécialiste de l'aviation.

D'abord professeur d'histoire, il devient journaliste sportif dès 1908 et écrit dans de nombreuses revues : La Vie au Grand Air, Les Annales, Le Matin, L'Illustration, Le Journal , La Revue de Paris, J'ai Vu, La Guerre Aérienne illustrée puis La Vie Aérienne.

 


Les Annales N°1978 – 22 mai 1921

Propos sur les sports

Amateurs et professionnels

L'éternelle question n'est pas près d'être résolue. Les partisans des amateurs s'insurgent, les apôtres du professionnalisme se déchaînent. Les uns partent en guerre, les autres y restent. Tous se lamentent. Il en sera ainsi pendant quelques années encore!

Le coureur à pied Léon de Nys, qui avait 1'étoffe d'un Jean Bouin, en attendant d'en avoir 1e cœur et l'opiniâtreté, veut abandonner la course à pied pour le cyclisme, afin de gagner de l'argent. Il a tort : lorsqu'on possède une qualité qui vous permet, en moins d'un an, de se placer au tout premier rang, sur piste, sur route et en cross, on n'a pas le droit de quitter sa spécialité. D'ici trois ans, en travaillant, cet athlète pouvait prétendre battre 1e record du monde de l'heure. Il préfère lâcher la proie pour l’ombre et s'en repentira sans doute avant longtemps. Qu'il médite l'exemple de son glorieux devancier, Saint-Yves, coureur de Marathon extraordinaire. Attiré en Amérique par l'appât du gain, ce champion connut des triomphes. Puis, il crut gagner davantage comme motocycliste. La chance, qui n'aime pas les changements, l'aida moins. Il revint en France et au lieu d'être riche et indépendant, il se contente de faire des transports en camionnette. Son cerveau doit, maintenant, regretter ses jambes : il est trop tard!

Mais... de Nys a raison : sa participation à une séance de sports attire le monde. Il voit la multitude accourir pour 1'acclamer. Et les acclamations, si elles nourrissent les Fédérations, sont loin de permettre à un athlète de vivre! La semaine, le coureur travaille, dérobant à son métier de rares instants pour s’entraîner et mener le martyre de l'homme qui se prépare. Pendant ce temps, les officiels ne; se privent de rien, font des déplacements, paradent aux banquets ! Il y a de quoi être un peu attristé, sinon écœuré.

- C'est moi qui fais la recette, se dit le champion, et je suis payé en breloques que je ne puis même pas attacher à une chaîne de montre, tant elles sont mesquines!

De là son goût pour le professionnalisme qui, d'ailleurs, ne permet pas de vivre dans 1a course à pied. L'effort, comme toute peine,  mérite salaire. L'amateurisme n’est qu’une vulgaire hypocrisie, dont personne n’est dupe. Parmi ses plus fervents défenseurs, il y a d’anciens professionnels qui ne sommeillent pas, mais qui sont profondément endormis. Le diable qui se fait ermite, voilà I’ ennemi !

L'idée est en marche, croyez-le bien, et le jour n'est pas éloigné où il n'existera plus que des athlètes réunis sous le même anion et non  plus des professionnels qui reçoivent l’argent sur la scène, et des amateurs qui se font payer dans 1a coulisse.

JACQUES .MORTANE.

Les Annales N°1978 – 22 mai 1921

Propos sur les sports


 

Les Annales N°1981 – 12 juin 1921

Propos sur les sports

Débuts prometteurs

Le champion de course à pied Léon de Nys, nous l'avons dit, a troqué la blanche hermine de l'amateur contre le maillot vert professionnel de l'Association des Quatre Chemins. Lui, tout au moins, n'y est pas allé par quatre chemins ! Saboté par la Fédération, qui voyait en lui un homme  qu’elle aurait du protéger, i1 n'eut qu'à regretté les procédés dont il fut victime. Coureur de grande valeur, digne - et seul - successeur  de Jean Bouin, l’incomparable athlète,  il se révéla soudain et s'imposa aussitôt. Le moins qu’on pouvait faire pour lui était de lui procurer des occasions  de prouver sa supériorité. Alors qu’on admet fort bien que le joueur de tennis Laurentz, Belge, participe aux championnats de France, on refusa au mi-Français, mi-Belge le droit de prendre part aux épreuves  nationales de cross-country. On Semblait le poursuivre avec un éteignoir ! Las de ces manœuvres, Léon de Nys voulut changer de sport : le cyclisme l'attira. Mais l'une de ces occasions providentielles, comme il s’en rencontre rarement, se présenta sous la forme du forfait de Vermeulen dans le championnat du monde des dix milles. 11 fallait un remplaçant. On s’adressa à Léon de Nys.

Bien en prit aux organisateurs, car le détenteur du titre, l’Anglais Mac Crae, fut battu de façon tellement décisive que même les plus ardents partisans de Léon de Nys furent émerveillés. Il est triste de penser de penser que, dans l’athlétisme professionnel, les épreuves à sensation sont rares ; mais, pour faire valoir un homme tel que le nouveau champion, des sportsmen avisés sauront sans doute en créer. Il est déjà question de la revanche du championnat à disputer à Edimbourg ; puis, on pourrait organiser le match de Nys-Vermeu­len. Et l'étranger ferait certainement appel au jeune athlète, si celui-ci continue à totaliser les succès comme il le fait depuis ses débuts.

Nulle victoire ne pouvait être enregistrée avec plus de joie. Léon de Nys est, en effet, un modeste  et un brave cœur. Ses premiers mots, après qu'il eut cueilli le titre de champion du monde à l'âge de dix-neuf ans et demi, - ce qui constitue un record, - furent les suivants :

- Je suis surtout heureux parce que les deux mille cinq cents francs que je viens de gagner vont faire du bien à la maison. On en a besoin, dans ma famille !

Puis :

- Comme maman va être contente ! En partant, je lui avais dit de ne pas s'en faire. Elle avait confiance. Mais on a beau être confiant, ça n'empêche pas l'émotion et la crainte.

Enfin, il eut celle boutade :

- C'est rigolo, la vie ! Je n'ai pas pu être champion de Romainville parce que ça déplaisait aux dirigeants de l'amateurisme, et je suis champion du monde. En voilà une histoire !

Que Léon de Nys reste simple, loyal et travailleur comme i1 l'est. I1 est appelé aux plus hautes destinées dans l'athlétisme. Ses succès combleront d'aise ceux qui le connaissent. Et surtout que le jour où il laissera, plus tard, publier ses mémoires, il ne se fasse pas rendre un peu ridicule - comme il arrive - par un narrateur trop maladroitement enthousiaste ! Mais, je suis sûr que nous n'avons pas à craindre pareil manque de mesure de la part d'un champion aussi intelligent. Lui; au moins, aura soin de lire ce qu'on lui fera signer!

 

                                                                                                 L'Éducation du Public

Peu de spectateurs relativement assistèrent au match Léon de Nys-Mac Crae. Cinq mille Personnes environ étaient présentes à ce championnat du monde, qui, si le public savait comprendre l'importance de l'effort, aurait dû attirer au moins trente mille admirateurs. Le Vélodrome est comble pour des épreuves beaucoup moins intéressantes. Pourquoi cette ignorance ? Ne croyez-vous pas que la lutte d'hommes se donnant de tout leur être par des moyens naturels n'est pas supérieure à toute autre manifestation où intervient la mécanique ? Le geste du sauteur, celui du lanceur, le mouvement du coureur de haie, le combat que se livrent sur longue distance deux champions n'arrivant pas à se dépasser, ne sont-ils point passionnants ? Le Français a encore beaucoup à apprendre au point de vue sportif. Il est certain que l'autre dimanche, un peu creux en événements, aurait dû voir la foule envahir le Stade Pershing. Si la presse spéciale avait su initier les lecteurs aux beautés du spectacle qui devait se dérouler, elle aurait été écoutée. C'est elle qui doit faire l'éducation du public, non pas en annonçant simplement les manifestations, mais en expliquant leur intérêt et en attirant scrupuleusement l'attention sur telle ou telle. Si, pour le match de Nys-Mac Crae, les profanes avaient su l'importance de la partie qui allait se jouer, la valeur des hommes en présence, ils se seraient précipités et n'auraient pas regretté leur déplacement. C'est par de semblables rencontres qu'on fait des adeptes, mais encore faut-il que le monde en soit averti.

 

JACQUES .MORTANE.

Les Annales N°1981 – 12 juin 1921

Propos sur les sports


Toujours le Stade Olympique

Les prochains jeux Olympiques, nous l’avons dit et répété, se disputeront à Paris en 1924. Vous croyez peut-être bénévolement que tous nos efforts tendent, en ce moment, à découvrir et à grouper les meilleurs représentants, ceux qui seraient capables de nous faire honneur ! Ah ! Comme vous connaissez mal le sport ! Je sais bien que des enquêtes paraissent, où de vagues pontifes nous expliquent comment, selon eux, nous pourrions transformer des culs-de-jatte en sauteurs de haies et la Vénus de Milo en lanceuse de javelot. On cherche des moyens, on en indique de remarquables, dit-on ; mais !es chronomètres continuent à marcher aussi vite et les Américains à faire les 100 mètres en 10 secondes 5/l0. La France, si elle voulait s'en donner la peine, pourrait produire autant de champions que nous en désirerions ; mais encore faudrait-il aller répandre la bonne parole là où elle produirait son effet, au lieu de réunir périodiquement des officiels incapables, affamés de rubans, dans des banquets où les promesses sont en raison directe de la valeur des vins.

La seule question qui intéresse nos « décourageurs » du sport est celle du Stade 01ym­pique. Où l'établira-t-on ? A la porte de Versailles, à Vincennes, à Belleville ou dans le bassin des Tuileries ? Il faut que des records puissent y être battus, que les spectateurs aient chacun le téléphone et une salle de bain à leur disposition, et patati et patata ! Que nous importe ! Les véritables sportsmen désirent, avant tout, que la représentation française ne soit pas une figuration de théâtre de petite ville. Que la piste soit une merveille ou qu'elle, soit semée de tessons de bouteilles, ce que nous voulons, c'est qu'elle ne voie pas arriver régulièrement les nôtres dans les derniers. Le reste n'est qu'apparat.

La France n'est pas riche, et pour cause. Elle doit payer treize francs pour avoir cinq francs en Amérique ; quarante-cinq francs pour recevoir vingt-cinq francs en Angleterre ; quatre francs pour obtenir vingt sous en Hollande... Par conséquent... Ne faisons pas comme ces faux snobs qui se mettent en smoking et dont les chaussettes sont trouées. Contentons-nous du Stade Pershing en attendant des jours meilleurs ; mais essayons surtout de briller avec nos athlètes, car le muscle français est plus important et intéressant que les profits d'un entrepreneur de travaux publics.

JACQUES .MORTANE.

Les Annales N°1993 – 4 septembre 1921

Propos sur les sports


Encore un Échec

Le match d'athlétisme France-Suède, disputé à Stockholm, s'est terminé par la défaite française : 105 points aux Suédois, 71 aux Français. Une fois de plus, la Fédération a prouvé son esprit antisportif en ne sélectionnant pas tous nos meilleurs hommes, en négligeant les services de soigneurs et en n'oubliant pas d'emmener aux frais de la princesse une imposante représentation officielle. On dit que les voyages forment la jeunesse, mais ils semblent déformer les pontifes. Rendons hommage aux athlètes qui n'ont pas considéré le déplacement comme une partie de plaisir : notamment à Féry, vainqueur dans le 400 mètres, à Lorrain, qui fit les 100 mètres en 10 s. 9/10, - nouveau record de France.

Alors que tant de luttes s'établissent si âpres, prouvant un sérieux entraînement, autour de l'assiette au Stade Olympique de 1924, ne serait-il pas plus précieux de s'occuper un peu de nos athlètes qui, on l'ignore en haut lieu, devront tenir leur place dans ces solennités athlétiques ? Nous avons le muscle, messieurs les dirigeants ; mais, vous, avez-vous la tête qui convient pour mener à bien une tâche noble, patriotique et pure, nécessitant une compétence absolue ? Le sport ne consisté pas seulement en voyages, en banquets, en rubans, etc... Là où il faudrait des apôtres qu'avons-nous ?

JACQUES .MORTANE.

Les Annales N°1994 – 11 septembre 1921

Propos sur les sports


 

Enfin, un peu plus…

Un peu plus, et nous gagnions le match d'athlétisme France-Angleterre, le 11 septembre, à Colombes, où plus de 20.000 personnes se pressaient, alors qu'à Pershing on en aurait, sans aucun doute, reçu près de 50.000. Mais c'est là question d'arrière boutique et de terrain dont nous ne nous occupons pas : seul le sport nous importe et non pas les combinaisons.

Nous avons été vaincus par cinq points seulement, ce qui est un très bon résultat, étant donné la valeur de nos adversaires, qui, i1 n’y a pas longtemps, jouaient encore avec nous. Nous faisons donc de remarquables progrès. Nous aurions même dû gagner, si André, par exemple, avait été égal à lui-même, et si, dans le saut en hauteur, Guilloux et Lowden avaient accompli leurs performances habituelles. Au cours des rencontres internationales de la saison, nous avons été battus par la Suisse, - par 1a faute surtout des pontifes, - nous avons vaincu la Belgique, nous avons subi un échec honorable en Suède et nous avons été défaits de justesse par l'Angleterre. Ce n'est certes pas encore le rêve; mais, peu à peu, nous arrivons à la classe olympique. Continuons et renouvelons surtout ces rencontres internationales auxquelles nous ne pouvons que gagner.

Soyons surtout heureux de constater que le public commence à s'intéresser à l'athlétisme. C'est ainsi que nos hommes progresseront. S'il se sait encouragé par la foule, 1'athléte.ne néglige rien pour parfaire sa forme et briller davantage, ne l'oublions pas.

 

JACQUES .MORTANE.

Les Annales N°1996 – 25 septembre 1921

Propos sur les sports